L’histoire

Les « écluses » rétaises, pêcheries en pierre d’origine médiévale

Le visiteur en Ré est souvent étonné par ces longs murs de pierres qui serpentent sur l’estran rocheux et dont la vocation lui paraît bien mystérieuse. Il s’agit en fait de pêcheries, appelées localement écluses, dont l’origine remonte au lointain Moyen Age. De forme irrégulière, mais souvent proche de celle d’un fer à cheval, elles atteignent plusieurs centaines de mètres. Submersibles à marée haute, le poisson y reste prisonnier lorsque la mer se retire. Aujourd’hui, la plupart de ces ouvrages sont ruinés, parfois à peine discernables des rochers environnants. Alors qu’il n’en reste plus que 14 en exploitation sur Ré, au XIXe siècle ce n’était pas moins de 140 ouvrages qui se répartissaient sur les estrans rocheux rétais emprisonnant près de 400 hectares. De nombreux documents datant de l’Ancien Régime montrent que ce type de construction s’est largement diffusé dans tout le centre-ouest, sur toutes les côtes propices à l’édification de tels ouvrages, c’est-à-dire des estrans calcaires, beaucoup plus rarement – comme en Bretagne et Normandie – des espaces rocheux granitiques.

Pour Ré, la première mention d’écluses apparaît dans le chartrier de Thouars en 1408 : 36 – chiffre très élevé – sont alors répertoriées dans la « seigneurie » (l’ancien canton de Saint‑Martin‑de‑Ré, la partie sud-est de l’île), 5 écluses au Bois, 8 à la Flotte, 2 à Saint‑Martin, 18 à Sainte‑Marie (comprenant Rivedoux), dont une sur le rocher de Chauveau, et 3 dans un lieu non précisé. En 1727, sur le même territoire, Le Masson du Parc en dénombre 42. La dernière période de grande construction date des années 1945 (année durant laquelle les vignes ont été complètement détruites par des gelées tardives les trois premiers jours de mai) à 1950.

Ces ouvrages imposants sont tout à fait représentatifs du mode de vie des insulaires rétais, mais aussi des oléronais et des populations littorales, ces « paysans de la mer » qui vivaient avec l’océan et en tiraient une partie importante de leur subsistance, tant pour la nourriture que pour engraisser leurs maigres terrains avec le varech utilisé en fumure.

L’étendue de ces pêcheries, qui nécessitent de bâtir entre 2 000 m3 de mur (pour les plus petites) et 6 000 m3 (pour les plus grandes), concrétise le fruit d’un travail communautaire et s’appuie sur une expérience séculaire et une connaissance intime du milieu maritime difficilement imaginable aujourd’hui. Elles sont érigées sans liant, conformément à l’Ordonnance de Colbert de 1681 qui stipule qu’elles doivent être construites de « pierres rangées en forme de demi‑cercle et élevées à la hauteur de quatre pieds au plus, sans chaux, ciment, ni maçonnerie ». Cependant, les murs doivent néanmoins être capables de résister aux tempêtes d’hiver et d’encaisser alors des chocs de l’ordre de 20 tonnes/m2.

La période de construction va de mi‑mars, fin des labours d’hiver, à la mi‑juin, début des travaux d’été, plus rarement d’octobre (fin des vendanges) à l’hiver. De tels travaux demandent une main‑d’œuvre importante, souvent plus de 20 personnes, et plusieurs mois de travail.

Une fois bâtie, l’écluse nécessite un entretien continu et permanent. La part d’écluse comprend d’ailleurs, d’une manière indissociable, part de pêche et part de réparations. Le nombre de participants à l’équipe de construction détermine, de façon immuable, le nombre de parts d’écluse, en général 8 à 10. La part peut ensuite être transmise par vente ou échange, mais le plus souvent lors d’une succession ; elle est alors divisée entre le nombre d’enfants intéressés, le repreneur étant dans l’obligation d’assumer également sa part de réparations. Il n’est alors pas rare qu’un détenteur possède des participations dans plusieurs écluses : par exemple, 1/8e dans l’une, 1/24e dans une autre et 1/16e dans une troisième.

La construction : une technique complexe demandant un grand savoir-faire

Pour le profane, l’estran rocheux qui borde l’île apparaît, à marée basse, très plat. En réalité, les strates calcaires – appelées banches - qui le compose, de 20 cm à 50 cm d’épaisseur, sont parcourus par de nombreux courants, les vannes, qui permettent l’assèchement du rocher à marée basse. Les différentes strates sont séparées par une couche d’argile en décomposition colonisée par de petits vers et une faune marine très riche. À marée haute, les poissons viennent y chercher de la nourriture, les courants creusant régulièrement l’argile.

Pour être pêchante, l’écluse doit être implantée sur le lieu de passage des poissons et comporter une ou plusieurs vannes. Lorsque les meilleurs emplacements ont été occupés, il a bien fallu construire là où il restait une place vide qui risquait d’être moins pêchante, mais avait le mérite d’être disponible. Aujourd’hui encore, les écluses disparues - ou non - gardent leur réputation. Certaines pêchaient été comme hiver, d’autres plutôt au printemps et l’été. Roche-Nue était réputée pour ses meuils (les mulets) attrapés en grande quantité, au contraire de la Paillarde, très proche, dont on appréciait la variété des poissons pêchés. Certaines étaient considérées comme pêchantes, d’autres non. Les noms, ou surnoms, conservent encore trace de ces différentes :

  • La Petite-Chavêche ou Non-Prenante (Sainte-Marie),
  • La Misère ou Grande-Pierre (Saint-Clément),
  • Foirouze (Foireuse) (Ars et Loix),
  • Au contraire de la Jalousie (Sainte-Marie).

Pour construire une écluse, il faut constituer une équipe choisie généralement dans le voisinage plutôt que dans la famille. Chacun doit s’engager pour ce projet commun avec « la même volonté d’arriver au bout » et disposer de temps libre car ces chantiers particulièrement importants, nécessitent entre 10 000 et 15 000 heures de travail. L’équipe se compose exclusivement d’hommes, elle doit être soudée car « si elle n’est pas bonne, le résultat sera mauvais. »

On choisit un chef d’écluse qui va diriger les travaux, généralement la personne qui a le plus d’expérience et qui est respecté par tous. L’équipe est immuable. Celle qui a participé à la construction devient l’équipe de pêche.

Depuis le XVIIe siècle, les écluses de l’île de Ré sont, à de rares exceptions près, des propriétés collectives, divisées en parts ; chaque membre de l’équipe de construction aura droit à une part correspondant à une part de pêche et une obligation d’entretien. Les parts se transmettent entre vifs (échange, ventes...) ou après un décès. Dans le cas d’une succession, la part est divisé entre le nombre d’enfants sous réserve qu’ils puissent assurer leur « devoir » d’entretien. Ainsi sont exclus les enfants ne pouvant assurer l’entretien (par exemple, car n’habitant pas dans le village) et les filles, sauf exception, car les réparations nécessitent une main d’œuvre pouvant assurer des travaux pouvant, parfois, être très pénibles.

Au XXe siècle, toutes les écluses ont été rebâties sur l’assise de pêcheries plus anciennes. Pour bâtir, ou plus exactement rebâtir, on utilise les pierres provenant de l’ancienne écluse, mais peu, car la plupart sont enfouies ou disparues, emportées par les tempêtes. On n’utilise jamais de pierres roulantes, car lorsqu’une pierre a roulé pendant des années ses arêtes s’arrondissent et elle n’accroche plus. On préfère débancher (tirer la pierre de la banche), ses arêtes sont alors plus vives et le bloc reste rugueux.

On commence, en même temps, la construction des deux bras. Albert Guilbon raconte : pour « la Belle-Vanne », on est parti du bord du rivage. Puis, on a commencé le deuxième bras car, par faible coefficient on pouvait travailler sur les bras, mais pas sur le fond. Elle était très large et haute. On y allait tous les jours, que le coefficient soit faible ou fort. On faisait de grandes marées, on y allait quand la mer descendait et l’on revenait quand elle montait. Il y avait plus de quatre heures de travail à chaque marée. »

Extérieurement, le mur présente une forme arrondie, proche d’une voute, système autobloquant sans utilisation d’un liant (chaux, ciment). Le mur reste donc relativement « souple », ce qui lui permet de mieux encaisser le choc de la houle. En effet, lors de fortes tempêtes l’énergie dissipée par le flot s’écrasant sur le mur de l’écluse atteint facilement 20 tonnes/m2. De plus, pour éviter la propagation de brèches, on inclut de place en place un système de chaînage, très efficace, appelé clé. On bâtit une clé tous les dix mètres environ, moins s’il s’agit d’un endroit très exposé à la mer. La partie renforcée de l’écluse de la Jalousie (Sainte-Marie), par exemple, une écluse très exposée aux vents d’ouest/sud-ouest, comporte des clés espacées de moins d’un mètre cinquante.

Les ouvertures sont, également, des points de fragilité et nécessitent un savoir-faire particulier. En effet, pour permettre à l’écluse de s’égoutter, on procède dans le mur à des ouvertures. Leur nombre et leurs dimensions ont été réglementés par l’Ordonnance de Colbert « ... ils auront dans le fond, du côté de la mer, une ouverture de deux pieds de largeur, qui ne sera fermée que d’une grille en bois, ayant des trous en forme de mailles d’un pouce au moins en quarré… »

En réalité, l’ouverture, ou plus exactement les ouvertures, ne sont que rarement disposées au fond de l’écluse. Leur position dépend essentiellement de la configuration de l’estran car elles sont toujours implantées à l’emplacement des courants d’eau, les vannes, puisque la pente du rocher provoque un écoulement naturel. En outre, une seule ouverture est insuffisante pour assécher l’écluse, du moins avec les formes et les volumes que nous connaissons aujourd’hui. Il faut que la pêcherie s’égoutte complètement, mais aussi très vite, pour que les poissons ne passent pas par-dessus le mur. La Vaseuse (Sainte-Marie), qui était une petite écluse possédait quatre ouvertures. Leur nombre est variable, suivant leur largeur et leur hauteur, mais il atteint communément six à huit à Sainte-Marie et dix à douze à Ars et aux Portes.

Suivant les époques et les paroisses, les ouvertures portent un nom différent et ne possèdent pas une forme identique. Sur les côtes rarement soumises aux fortes tempêtes, les ouvertures font toute la hauteur du mur, et une largeur de soixante centimètres environ ; on les appelle bouchots. Pour fermer le passage aux poissons, on y installe une grille, montée sur des traverses, dépassant au-dessus du mur. Sur les côtes plus exposées on ne peut utiliser cette technique. Il faut protéger la grille contre l’action de la mer. Le passage, appelé claie à Rivedoux et Sainte-Marie, cia aux Portes et coui (ou coi) à Ars et Saint-Clément, se présente donc différemment.

Passage et grille sont des points fragiles qu’il faut particulièrement protéger. On doit, tout d’abord, arrêter le mur d’écluse, formé d’une voûte, par un mur perpendiculaire formé de larges pierres plates que 1’on place horizontalement et qu’il faut soigneusement raccorder au mur existant. Si l’ouverture est exposée aux houles d’ouest, on élargit le mur (jusqu’à dix mètres à la base) et on forme un véritable tunnel, peu élevé, avec une grille placée en retrait à l’intérieur.

La construction d’une écluse demande de transporter, puis de bâtir, un volume de pierres considérable. Pour donner une idée nous pouvons estimer le volume de quelques murs pour lesquels nous avons des données précises :

Le Grand-Nouron (Ars)
Section du mur : dans la fonte 2,60 m de haut, 9 m de large,
Bras : on revient à 3/4 rn de large pour l’un et 4/ 5 m pour l’autre,
Longueur du mur : environ 700 m,
Volume du mur : environ 4 400 m3.

La Fontaine (Le Bois)
Section de la fonte : 2,20 m de haut, 3,50/4 m à la base,
Un kilomètre de tour, pour 500 m d’ouverture,
Volume du mur : environ 3 300 m3.

La Belle-Vanne (Sainte-Marie)
Longueur du mur : environ 600 m,
Section de la fonte : 2,80 rn de haut, 3/3,50 m à la base.
Volume du mur : environ 2 100 m3.

Le Grand-Nouron est considéré comme une très grande écluse et la Belle-Vanne plutôt comme une petite. On peut donc estimer que la Fontaine représente une écluse moyenne, avec un volume du mur de 2 500 à 3 000 m3. On conçoit facilement que de tels travaux nécessitent une main d’œuvre nombreuse et que la durée de construction soit relativement longue.

La période de construction, ou d’importantes réparations, va de la mi-mars, fin des labours d’hiver, à la mi-juin, début des travaux d’été, plus rarement d’octobre (fin des vendanges) à l’hiver. Le carnet de construction de l’écluse du Pas-des-Boeufs (Le Bois), en 1869, permet de connaître exactement la durée de la construction. Les travaux ont commencé mi-septembre pour se terminer mi-février, soit 101 jours. On n’a pas pu, en général, travailler pendant les marées de mort d’eaux. La construction a demandé : 1605 marées-homme, 890 marées-femme, 842 marées-charrette et 2 marées-bateau, ce qui correspond à environ 13 000 heures, chiffre tout à fait plausible.

Il semble qu’il n’y ait pas eu de grandes époques de construction. En période de crise économique on bâtissait peut-être un peu plus, mais les différents documents que nous avons consultés permettent de constater une lente progression du nombre d’écluses jusqu’au début du xxe siècle, contrecarrée par une législation très mouvante.

L’année 1945 donne, à cet effet une image intéressante. Pendant la guerre, peu d’écluses avaient été complètement abandonnées. Malgré l’absence de nombreux détenteurs, elles procuraient un appoint non négligeable dans la nourriture pour qu’on ne les laisse pas disparaître. Le jour de l’armistice, une forte gelée nocturne a détruit totalement les vignes en fleur ; il n’y a pas eu de récolte cette année-là. En cette période de pénurie, en l’absence de travaux champêtres, on aurait pu s’attendre à une grande reconstruction d’écluses. En fait, sur l’ensemble de l’île, seuls sept ou huit ouvrages seront bâtis ou rebâtis.

Bâtis sans chaux ni ciment, seulement à pierres jointives, les murs nécessitent une surveillance et un entretien constant. Aussi, chacun, lorsqu’il a terminé sa pêche, doit faire le tour de l’écluse, une fois à l’intérieur, une fois à l’extérieur, consolider immédiatement les pierres qui bougent et, remettre la – ou les – pierre(s) qui sont parties c’est amorce d’une plus grande brèche qui peut se former très vite si le temps est mauvais. « Quand le temps est calme, il ne se passe rien - ou, il ne devrait rien se passer - mais le jour où il fait mauvais, c’est autre chose ! ». « Les grandes brèches c’est rare, c’est que l’on n’a pas fait la réparation à temps. L’hiver il y a toujours des brèches, mais des petites que l’on répare en une ou deux marées. Si les réparations sont plus importantes, c’est la communauté entière qui décide des réparations ». Dans ce cas, le chef d’écluse convoque toute la communauté, valide les travaux à réaliser, les suit et note les temps de présence de chaque détenteur (en marées) pour avoir une contribution parfaitement égalitaire.
La menace d’une brèche est très grave pour les écluses neuves et les écluses basses (loin en mer). Pour une écluse fraîchement bâtie, balanes et petites huîtres n’ont pas encore lié les pierres, une brèche importante se produit très vite, en une marée ou deux. Il faut donc la réparer le plus tôt possible. Pour les écluses basses, le problème concerne les brèches qui se forment au moment du mort-d’eau quand les murs ne découvrent pas, ou peu. Mais, heureusement, à ce moment-là, il y a souvent beaucoup d’eau au-dessus du mur et la houle frappe moins la structure.
Le système de partage des réparations en vigueur aujourd’hui et que nous venons de décrire ne semble pas être celui existant sous l’Ancien Régime. À cette, époque la part que possède chaque détenteur, dans l’écluse, est réelle et matérielle. Chacun connaît la partie de mur qui lui appartient et qu’il doit entretenir.

La pêche

Suivant les époques et les villages, soit l’ensemble de la communauté mareye l’écluse en même temps et l’on partage ensuite la pêche au prorata des parts, ce qui s’avère souvent très complexe, soit, plus généralement, le « tour de marée » – qui comprend la marée de jour et la marée de nuit – est réparti au prorata des parts. Ainsi, à Sainte‑Marie, au xxe siècle, à la fin de la construction, l’équipe fixe l’ordre du tour de marée par tirage au sort. Celui-ci reste ensuite immuable.

Les quantités de poissons pêchés varient fortement en fonction de l’emplacement de l’écluse sur l’estran, de l’époque et de la qualité de la construction, mais aussi de l’entretien. Certaines écluses « pêchent » constamment, d’autres moins. D’après le témoignage d’Anthony Guilbeau, « dans une bonne marée, on rapporte une dizaine de kilos, mais avec cinq ou six livres, on est content ». La pêche considérée comme « normale », correspondant au volume d’une basse à vendange (environ 50 litres) ; elle appartient entièrement à celui qui a fait la marée.

Pour les pêches exceptionnelles, le surplus est partagé entre toute la communauté liée à l’écluse. Ces pêches, plutôt rares, ont marqué fortement les esprits. Elles concernent principalement, des mattes (bancs) de touils (requins-renard) ou de meuils. Elles ont souvent lieu les premières années après la construction, comme en témoigne Albert Guilbon (Sainte-Marie), parlant de la reconstruction de la Belle-Vanne aussitôt la Seconde Guerre mondiale, « on [a] attrap[é] des quantités formidables de meuils, des pleines charrettes ». Raphaël Bonnin (Rivedoux) se souvient qu’un de ses amis, mareyeur à La Rochelle, est venu chercher six tonnes de mulets pêchés dans une écluse. Entre les deux guerres, le père Brun, a pêché 17 touilles, à « la Jalousie » (Sainte-Marie), en une marée, soit près de 500 kg.

Le 27 septembre 1947, on a capturé 5 tonnes de meuils, dans l’écluse du « Jard » (Ars) et la prise aurait pu être bien supérieure si l’abondance de la prise n ’avait obstrué les couis, empêchant l’écoulement des eaux. Au Grand-Nouron, les 14 et 15 août 1948, ce sont 600 touilles d ’environ 20 kg chacun, qui furent retenus dans la pêcherie, mais seulement 150 purent être pêchés dans la marée, trois charrettes pleines ! Le reste, récupéré à la marée suivante, fut impropre à la consommation. Dans la même écluse, le 9 janvier 1951, on ramassa 4 tonnes de meuils, mais comme le coefficient était très faible, l’écluse n’assécha pas et il en resta au moins le double qui repartirent avec la marée. À Bernicard (Ars), un peu après, ce fut un maigre de plus de 100 livres, qu’on eut bien du mal à assommer tant ses écailles étaient épaisses, mais dont le bout du museau apparut aussi vulnérable que le talon d’Achille.

Une enquête de l’Administration maritime, en 1866, fournit des indications intéressantes sur la valeur des produits de la pêche. Sur Ré, à cette époque, la pêche annuelle en poissons « frais » (hors thons et maquereaux) représente 64 842 F pour les bateaux et 15 250 F pour les pêcheurs à pied, soit un rapport sensiblement de un à quatre.

Pendant plusieurs siècles, les écluses ont permis de nourrir une partie importante de la population insulaire, plus de la moitié de son village estime le maire d’Ars en 1853. Aujourd’hui, les dernières sont en voie de disparition : il n’en reste plus que 14 à l’échelle de l’île contre 68 recensées en 1968 et près de 140 dans les années 1870. L’inconscience de certains touristes qui provoquent des brèches en enlevant quelques pierres l’été et un mode de vie différent risquent de faire disparaître ces témoignages ancestraux en quelques décennies.

Quelques rares passionnés et une association de sensibilisation à leur protection, l’ADEPIR (Association de Défense des Écluses à Poissons de l’Ile de Ré), essaient pourtant de lutter contre cette inéluctable évolution. Par ailleurs, et ce pour la première fois, le Schéma de Cohérence Territorial (SCOT) élaboré par la Communauté de communes de l’île de Ré en 2011 reconnaît, à la fois, leur valeur patrimoniale et leur rôle dans la protection des côtes rétaises contre l’érosion. Prise de conscience tardive ou regain d’intérêt pour une culture traditionnelle qui se meurt ?

Texte de Jacques Boucard