Les techniques de construction

Le choix du site

Posons tout d’abord les conditions nécessaires à la construction d’une pêcherie en pierres que l’on appelle dans l’ile de Ré ,écluse à poissons :

1 ère condition : une côte rocheuse ,
basiquement il faut des pierres donc un estran *rocheux qui fournit les pierres disponibles indispensables à la construction des ouvrages que sont le mur d’enceinte, les claies ( ces ouvertures qui laissent passer l’eau à marées montantes ou descendantes ), les clefs ou clés dans le mur ( en fait des clefs de voûte) construites avec de très grosses pierres qui renforcent le mur tous les 5 ou 6 mètres lorsque la quantité de pierres utilisables sur le site de construction le permet .Si l’estran présente trop peu de grosses pierres disponibles ,les clefs de voûte ne se feront par exemple que tous les 10 ou 12 mètres. Des pierres aussi pour d’autres ouvrages de renforcement comme les épecs ( éperons qui brisent la vague ou le courant de marée à un endroit du mur qui subit de fortes contraintes de poussées des eaux .
Ainsi trouve-t’on les pêcheries en pierres exclusivement sur les côtes rocheuses de l’ile de Ré ,de l’ile d’Oléron, de Vendée ( la Tranche sur mer et Noirmoutier ) et de la Manche en dessous de Grandville .En Europe il faut aller en Andalousie ( atlantique) du côté de Xérès de la Frontera pour trouver des pêcheries en pierres,. Les Émirats arabes ,Oman notamment ont des pêcheries en pierres ainsi que certaines îles rocheuses polynésiennes .
Idéalement, les côtes qui présentent des « champs de blocs de pierres « provenant des strates calcaires de 20 à 50 cm d’épaisseur (les banches ) sont des lieux propices à la construction des pêcheries en pierres.

2ème condition : une côte où les marées découvrent de grandes surfaces d’estran.
Il faut en effet que la zone de balancement des marées où la mer découvre soit suffisamment étendue pour la construction d’un grand ouvrage. Le mur en fer à cheval qui va faire dans l’ile De Ré selon les pêcheries de 360 mètres ( la Verdonnais à Loix ) à plus de 880 mètres ( la Moufette à Saint-Clément -des -Baleines).
On retrouve évidemment à Oléron, Noirmoutier, en Andalousie, à Oman aux Émirats arabes ces configurations de grands estrans qui découvrent à marée basse.

3ème condition : une côte riche en biodiversité .
Simplement faut -Il rappeler que les pêcheries visent la capture des poissons dans le piège permanent qui leur est tendu. Aussi les lieux doivent-ils présenter une riche biodiversité ( crabes,crevettes,vers annélides, alevins mais également des algues pour nourrir les espèces herbivores etc ) qui participera à attirer naturellement les poissons . C’est le cas de l’ile de Ré qui comportent l’originalité de grandes plaques de calcaire ( les banches )qui se fracturent, offrant ainsi des anfractuosités, des micro-falaises qui abritent de nombreuses espèces animales et végétales .
S’ajoutent à cette nature et morphologie de la côte, des dépressions longitudinales, les vannes, en communication avec la mer. Mais c’est surtout les banches, et notamment les couches d’argile qui les séparent qui abritent une faune extrêmement riche, où le poisson va venir y chercher sa nourriture. L’emplacement du mur de l’écluse tient compte de cela.

4ème condition : des hommes et femmes qui maîtrisent les techniques de construction
des pêcheries en pierres .
Les contraintes de ces ouvrages en milieu marin, qui vivent la poussée et frottements des courants de marées, des houles et des courants côtiers sont en effet considérables .Aussi faut-il que localement les techniques des bâtisseurs soient opérationnelles . Dans ce sens, ces constructions de pêcheries en pierres en milieu marin requièrent des connaissances et des expériences originales , indispensables à leur tenue dans le temps .

L’originalité de la pierre sèche uniquement

L’Ordonnance de Colbert impose que « les parcs de pierre seront construits de pierres rangées en forme de demi-cercle, et élevés à une hauteur de quatre pieds au plus, sans chaux, ciment, ni maçonnerie ». Elle reprend, sauf pour la hauteur, la technique ancienne.

L’édification d’un mur en pierres sèches ancré sur la banche calcaire de l’estran, réalise une liaison souple contrairement à un mur en ciment. Le mur en pierre sèches doit être capable d’encaisser des chocs de 20 T/m². Il ploie sous la vague, diminue la propagation des ondes de choc. Il n’y apparaîtra pas de fissures. Des pierres partiront, mais si l’équipe réagit vite, la réparation demandera peu de temps.

S’il y a des parties cimentées, des fissures y apparaîtront et tout un pan de mur sera enlevé par la mer, rendant la réparation pratiquement impossible, sans de gros moyens.

La forme du mur et ses ouvertures

La forme du mur et les astuces techniques utilisées auront pour but de rendre l’écluse résistante mais aussi pêchante.

La hauteur maximale moyenne était de l’ordre de 1,60 m /1,80 m, sauf à Ars et Saint-Clément où elle était souvent un peu plus élevée (2 m à 2,60 m). Au 20e siècle, on a surtout réutilisé le site et les pierres des anciennes écluse. On commençait en général en même temps la construction des deux bras à partir du rivage.

Le mur est en forme de voûte, plus arrondi à l’extérieur pour couper l’effet des vagues. Tous les 10 m. environ, on dispose perpendiculairement des clés de pierres plates.

Le mur se divise, schématiquement, en trois parties :

  • La fonte (le fond), partie la plus basse de l’écluse où la section du mur est la plus large car elle doit retenir l’eau qui s’écoule par des ouvertures munies de grilles. À marée basse, il reste des évées d’eau, ( de 2 à 3 mètres de large et d’une vingtaine de centimètres d’épaisseur).
  • Les deux bras ou coues (de queue, en vieux français) qui reviennent, en s’amenuisant, vers la terre. Ils sont parfois dissymétriques selon la position de la fonte.
  • La crête du mur doit être parfaitement horizontale (niveau pris sur l’horizon). Si elle présente des creux, lorsque l’écluse va déraser (affleurer de marée descendante) il se produira un courant violent, une tire et l’écluse déboira. Le poisson se sentant prisonnier fait le tour de l’écluse, s’il sent une tire sur un mur, il la suit et s’échappe.

Pour que l’écluse se vide, il faut des ouvertures. Ce sont les claies (Sainte-Marie, Rivedoux) ou couis (Saint Clément, Ars), aujourd’hui munies de grilles métalliques pour retenir le poisson, autrefois en osier ou branches de tamaris.
On voit donc que ces constructions présentent la grande originalité d’être bâties de pierres sèches assemblées ,bloquées dans un contexte marin où s’exercent de
phénoménales contraintes de houles ,de courants côtiers et de marées .

Dominique Chevillon

estran : zone de la côte qui découvre à marée descendante au gré des mouvements de balancement des marées