Un travail de Titan

La période de construction ou de réparations importantes va traditionnellement de la mi-mars à la mi-juin et souvent jusqu’à septembre lorsque les travaux sont lourds .
C’est en effet la période où la mer se fait ( sauf exception) plus calme . Les contraintes de houle d’automne et d’hiver rendant très difficiles les travaux et leur efficacité dans des conditions de mer trop dures .

Le volume de pierres nécessaire est énorme : par exemple 5500 m³ pour l’écluse de Moufette à Saint-Clément qui a plus de 1 km de murs ! On prend de la pierre de banche, nombreuses et disponibles à l’intérieur de l’écluse. On réutilise prioritairement les pierres d’anciennes écluses . On les transporte encore à deux hommes sur le « boyard » quand les circonstances le nécessitent . Dans les années 50 on utilisait encore des ânes ou des chevaux .Aujourd’hui chaque fois que cela est possible on utilise un tracteur .

L’équipe

Pour un tel travail, des compétences de bâtisseurs et une main d’œuvre efficace est indispensable. On dit souvent qu’une équipe autonome de 3 personnes est la plus efficace pou travailler à une réparation : un bâtisseur qui bâtit l’ouvrage , un apporteur de pierres qui met les bonnes pierres à la main du bâtisseur et un apporteur de gabut ou tin amené dans un ou deux seaux ( petites pierres qui constituent le support des pierres bâties ). Évidemment si les réparations de l’ouvrage le nécessitent plusieurs équipes de trois doivent être mises au travail .

Avant de construire une écluse on constitue une équipe . On choisit un chef d’écluse à l’amiable qui va diriger l’ensemble des travaux. L’équipe est immuable. Celle qui a participé à la construction deviendra l’équipe de pêche. Les écluses de l’île de Ré sont à de rares exceptions près des propriétés collectives divisées en parts ou tours d’écluse.Ce système n’empêchait pas autrefois l’utilisation d’une main-d’oeuvre extérieure que l’on salariait.

La durée et le coût de construction

Le musée de Saint-Martin conserve le journal de construction de l’écluse du Pas-des-Boeufs sur la commune du Bois. Il montre qu’en 1869 il a fallu 101 jours pour bâtir cette écluse, , ou encore 1605 marées-hommes, 890 marées-femmes, 842 marées-charrettes et 2 marées-bateau. Dans le Cahier de la Mémoire n°7 publié en 1982, Jacques Boucard s’est amusé à actualiser le coût de construction indiqué dans le document. Il arrivait à 45 millions de centimes !

Une vigilance constante

L’entretien permanent et les réparations fréquentes parfois très lourdes des écluses sont de terribles contraintes, causes aussi de leur abandon. Il ne faut pas manquer d’aller remettre les pierres enlevées bien sûr mais surtout bloquer les brèches des marées d’hiver, aux houles souvent très fortes , car ces brèches dans l’ouvrage évoluent très vite surtout si la construction ou les réparations sont récentes .Le ciment naturel que forment les huîtres et autres balanes ( petits crustacés qui se fixent sur les pierres) ne jouant pas encore leur rôle essentiel, et surtout l’ouvrage n’ayant pas encore trouvé son assise .
Les travaux selon leur gravité peuvent durer de quelques heures à quelques semaines où quelques mois .
Voire quelques années lorsque la pêcherie est frappée de plusieurs brèches qui nécessitent la reconstruction de centaines de mètres de murs mais également d’ouvrages comme les claies d’égouttement de l’écluse .
Ces travaux sont contraints par le rythme des marées qui permettent ou non d’accéder aux parties d’ouvrage à réparer. Les forts coefficients de marées étant bien sûr, ceux où l’on peut le plus longtemps travailler .
Ces travaux lourds et longs sont sources de discussions intenses et passionnées qui peuvent entraîner le départ ou l’arrêt de membres de l’équipe et la recomposition de l’équipe ,
Les travaux par leur niveau de contraintes ,leur gigantisme parfois, leur nature car lils sont faits à la main par assemblage et blocage de pierres sèches constituent bien des travaux de titans .

Dominique Chevillon